Ours brun

Mammifères

Ursus arctos Linnaeus, 1758

Ours brun (Ursidae) – (en) Brow Bear

VU 2007 Europe – CR 2009 France – Espèce prioritaire du WWF

Dictionnaire universel d’histoire naturelle (1847-1849)
Figure d’H.Breuil in Capitan & al. (1924)

L’ours brun présente des affinités avec l’espèce fossile, l’ours des cavernes (Ursus spelaeus Rosenmüller, 1794 Ŧ), et il est étroitement apparenté, malgré des différences morphologiques, à l’ours blanc (Ursus maritimus Phipps, 1774). L’ours des cavernes est encore indiqué, par exemple, dans le Vercors et la Chartreuse au début de l’Holocène… ainsi que dans l’Allier jusqu’à 5600 BP. À l’instar des autres mammifères actuels, la racine des Ursidés est à chercher dans la famille fossile des Miacidés Ŧ (50 Ma), et ils seraient apparus vers 20 Ma en Asie (Miocène). Ce n’est qu’il y a 250 000 ans qu’ils auraient migré vers l’Europe occidentale. C’est dans cette lignée que se trouvent les ours des cavernes ainsi que leurs ancêtres (ours de Deninger, Ursus deningeri de Reichenau, 1904 Ŧ : 1,8–0,1 Ma), Ursus prearctos, connus dès 70 000 BP. Capitan & al. (1924) interprètent les gravures des Eyzies (~13 000 BP) comme étant celles d’ours bruns (fig. ci-contre).

L’espèce est officiellement décrite des forêts froides d’Europe (Linnaeus 1758) et sa localité-type est en Suède.

Autrefois présent régulièrement en Eurasie et en Amérique du Nord, l’espèce a disparu de nombreuses régions. La moitié de ses populations se trouve en Russie. L’estimation mondiale est de 200 000 individus ; l’espèce n’est donc pas menacée globalement (15 000 en Europe en 2008). On compte une quinzaine de sous-espèces dans le monde, dont le type en Europe, Ursus arctos altobello dans les Apennins. Le grizzly, Ursus arctos horribilis Ord, 1815, vit en Amérique du Nord, où il est accompagné de l’ours kodiak, Ursus arctos middendorffi Merriam, 1896. Sur ce continent, l’espèce a été complètement décimée dans la moitié est. Ursus arctos crowtheri Schinz, 1844 est l’ours de l’Atlas, espèce aujourd’hui disparue, qui vivait en Afrique du Nord encore à l’époque romaine, où il est représenté sur certaines mosaïques.

Cartographie selon l’UICN

Espèce plutôt diurne en Amérique du Nord, elle est devenue plutôt nocturne en Europe sous l’effet de la pression humaine. Maturité sexuelle vers 4–5 ans. Rut en mai-juin, naissances en janvier-février après une gestation différée en période hivernale. Sa longévité peut atteindre ou dépasser 30 ans.

Omnivore, l’espèce se nourrit majoritairement de végétaux. Lors de la Préhistoire, on trouve des témoignages d’adoration de l’ours brun, personnage de la mythologie grecque. Son succès perdure jusqu’au Moyen Âge, époque où il est remplacé par le lion, notamment après les Croisades. C’est aussi une bête de cirque fréquemment présentée chez les Romains. J’ai souvenir, enfant, d’avoir vu ce qui était probablement l’un des derniers montreurs d’ours dans les années 1960 à Brest. Jean de l’Ours est une version « moderne » d’une créature légendaire dont on retrouve les traits des Pyrénées à la Russie (Ивачко-Урсо), en passant par l’Afrique du Nord et jusqu’en Chine.

Ours brun en France

Il semble vraisemblable que l’Ours brun occupait l’essentiel du territoire français au début de l’Holocène et jusqu’à l’Antiquité. C’était encore le cas à l’époque romaine. Son aire se morcelle ensuite en plaine, principalement en raison de la déforestation et de la progression de l’agriculture. Ainsi, l’Ours disparaît région par région. L’animal tend à se réfugier dans les massifs, où le déclin significatif n’est documenté qu’à partir du XVIIIe siècle. Néanmoins, il subsiste jusqu’au Moyen Âge dans le Nord du pays, et une série remarquable atteste de sa présence continue en Normandie depuis la préhistoire. Côté Espagne, sa présence est documentée jusqu’en Andalousie au XIVe siècle (Meyer 2015). Introduit en Corse au XVe siècle, il disparaît dès le XVIIe siècle. Les grands secteurs forestiers restaient occupés vers l’an mille.

Phébus (1387-89) en témoigne en direct des Pyrénées, dans le manuscrit dont il existe quelques copies. Il est question de sa reproduction, suivie de la description de l’« hibernation » des femelles dans des grottes où elles donnent naissance, les mâles faisant de même pendant quarante jours, sans ni boire, ni manger. Ces animaux se nourrissent d’herbe, de fruits, de miel, de chair, de faînes, de fourmis, de toute vermine et de charogne, montant aux arbres pour y chercher les fruits. Parfois, « quand tout leur manque, par grand hiver ou par grande famine, ils oseront bien prendre ou tuer une vache ou un bœuf ; toutefois, il en est peu qui le fassent, mais ils mangent et prennent volontiers, quand ils les trouvent à point, pourceaux, brebis, chèvres et semblables ». Leur longévité est d’une dizaine d’années, et tout au plus de 20 ans.

Phébus (1387-89) – de l’ours et de toute sa nature (BNF)


Il n’en reste plus, au XVIe siècle, que dans les massifs les plus inaccessibles : Vosges, Jura, Massif central, Alpes et Pyrénées. Il paraît possible que sa survivance en Auvergne, bien que non documentée, ait perduré après l’Antiquité, mais guère au-delà du Moyen Âge, sauf dans le Pilat, où le dernier ours est signalé en 1880. Les dernières mentions d’ours brun dans les Vosges sont mal précisées : on note un animal à Munster en 1760 et le dernier signalé en 1786 à Guebwiller. Les Alpes-de-Haute-Provence constituent le premier département alpin d’où disparaît l’ours, soit antérieurement à 1800. Dans les Alpes-Maritimes, il subsiste encore un noyau relictuel à Saint-Paul-d’Ubaye jusqu’environ 1840. Il n’y a plus d’ours dans les Alpes du Sud dans les années 1860, époque où il en reste près de 70 dans la partie nord. Il ne se trouve alors que dans les hautes montagnes du Dauphiné, du Bugey et dans les Pyrénées.

Il est encore assez commun dans quelques parties des montagnes du Dauphiné (bois de Villard-de-Lans, de La Ferrière, de Palanfrey, Saint-Barthélémy, donc près de Grenoble, ainsi que dans la Grande Chartreuse et dans l’Oisans). Il est en assez grand nombre dans les Pyrénées, notamment dans le Béarn, le Couserans, et plus encore en Bigorre et en Comminges (de Marolles 1788). Martin (1910) résume en disant qu’il n’en existe plus en Belgique, qu’il est devenu très rare en Suisse, et qu’en France, on trouvait encore quelques individus dans les Alpes et les Pyrénées, l’ours des Pyrénées étant plus petit que l’autre. Dans les Alpes françaises, les derniers ours bruns sont notés en Savoie en 1921, voire 1925, et dans le Vercors en 1937 (traces, l’espèce n’ayant plus été vue depuis 1920, le dernier tué en 1898 : Clave 1938). À peine est-il réputé disparu dans ce massif que Boissière (1939) considère que le Vercors est favorable à la réintroduction de l’ours, dans un plaidoyer pour fonder un parc national sur ce massif montagneux.

Bourdelle (1937) avance des chiffres de 150 à 200 individus pour les Pyrénées, et Couturier (1954) celui de 70 individus. Espèce donc disparue des Alpes vers 1940, du Jura vers 1860 (Grillo 1997) et du Massif central, avec les derniers individus dans le massif du Pilat au cours des années 1880. D’après Chimits (1971), il reste deux noyaux dans la chaîne pyrénéenne : l’un avec quelques individus en Haute-Garonne et en Ariège, et un second, un peu plus important, en vallée d’Aspe et d’Ossau.

Protégé depuis 1957 (fermeture de la chasse, protection stricte en 1962), l’espèce continue d’être braconnée malgré les indemnités versées pour compenser les dégâts occasionnés. Cannelle (voir : Melet 2004) est la dernière femelle d’ours authentiquement pyrénéenne. Elle a été tuée par un chasseur lors d’une battue au sanglier sur le territoire de l’animal, le 1er novembre 2004. Cet exemple suit ceux de cas identifiés tels que celui de l’ours dénommé Claude en 1994, Melba en 1997… En 2004, avec la disparition également du dernier mâle de souche pyrénéenne, on doit considérer que les ours pyrénéens authentiques n’existent plus (lignée ibérique, qui subsiste néanmoins en Cantabrie : séparation géographique des deux noyaux entre le XVIIe et le XVIIIe siècle – Meyer 2015).

Dès les années 1990, les populations pyrénéennes doivent être renforcées par des réintroductions. Le nombre d’ours pyrénéens, suite à des renforcements de population à partir d’ours venant de Slovénie (lignée balkanique), est passé à un peu plus de 50 individus en 2020. L’essentiel des Pyrénées est désormais visité par des ours bruns. C’est du jamais vu : en 2020, on compte six ourses suitées d’au moins 11 oursons : trois fois un ourson, une fois deux oursons et deux fois trois oursons. La population de nos ours dans les Pyrénées est ensuite passée à plus de 60 spécimens, soit un doublement de la population depuis 2015. Il n’en restait que quatre en 1994. Le chiffre minimum de 70 individus est annoncé pour l’année 2021, dont 12 oursons de l’année, et au moins 96 en 2024 selon les deux versants pyrénéens, Espagne comprise.

Les ours des Alpes avaient reçu le nom d’Ursus alpinus Fischer, 1814, description faite sur un exemplaire maintenu en captivité à Paris. Trouessart (1910) considère ce taxon comme une sous-espèce de l’ours brun. Pour les Pyrénées, c’est pyrenaicus Cuvier in Lesson, 1827, qui a été désigné. Miller (1912) ne distingue pas les deux sous-espèces, et Saint-Girons (1973) considère que les ours français appartiennent à la sous-espèce type, Ursus arctos arctos Linnaeus, 1758.

Ŧ : fossiles plus ou moins anciens – ANT : Antiquité – MA : Moyen-Âge – ©© bysa – Cyrille Deliry

Grand Poitou – L’Ours brun a existé jadis en Poitou-Charentes & Vendée, alors que cette espèce était encore représentée dans les plaines en France. Elle a disparu après l’Antiquité.

Rhône-Alpes – Cette espèce a disparu de Rhône-Alpes (RE 2024, 2008). Les derniers sont indiqués sur la carte de répartition française ci-dessus avec leurs dates (dernier contact connu). Les disparitions dans les départements de l’Ardèche et du Rhône sont très antérieures au XIXe siècle (respectivement à l’Antiquité et vers l’an mille). Il faut savoir que l’animal a été déclaré « nuisible » en 1844, et que des battues incessantes ont eu lieu entre 1860 et 1904, en particulier dans les Bauges et le Vercors, avec pour objectif l’extermination de l’espèce. On estime qu’il y avait dans les Alpes françaises environ 300 ours en 1800, 70 en 1860, et une vingtaine tout au plus en 1900. Vers 1920, l’animal ne subsiste plus que dans le Vercors et en Maurienne, avec une population inférieure à la dizaine. Couturier (1942) relate la dernière observation dans le Vercors en 1937 (Saint-Martin-en-Vercors), mais pense qu’il y en a toujours dans les Alpes. On peut éventuellement signaler des mentions de traces supposées vues dans le Chablais (Dent d’Oche, Haute-Savoie) jusque vers 1975. D’anciennes  fosses à Ours ➚ , encore en fonction au début du XXe siècle, sont encore visibles dans le massif (Courtin 1983). Un projet de réintroduction dans les Alpes est en cours depuis les années 1980 (Érome & Michelot 1990), mais, sorte de « serpent de mer », j’imagine que si l’ours revient dans les Alpes françaises, ce sera de manière naturelle, dans la suite de la dynamique positive actuelle connue dans les Alpes italiennes (com. pers., 2021).


Dans les Pyrénées, l’Ours brun est essentiellement forestier et s’observe généralement entre 1000 et 1800 m d’altitude, principalement dans des hêtraies-sapinières, dont les versants escarpés lui offrent les meilleurs refuges. Au printemps, il peut descendre plus bas dans les vallées, toujours à l’orée des forêts.

L’Ours brun est une espèce plutôt solitaire et sédentaire, occupant de vastes territoires. Espèce plutôt diurne en Amérique du Nord, elle est devenue plutôt nocturne en Europe sous l’effet de la pression humaine. La maturité sexuelle est atteinte vers 4-5 ans. Le rut a lieu en mai-juin, les naissances surviennent en janvier-février, après une gestation différée durant la période hivernale. La femelle est accompagnée de ses jeunes (1 à 4 selon les portées) pendant 1,5 à 2,5 ans. Sa longévité peut atteindre ou dépasser 30 ans.

Espèce omnivore, l’Ours brun se nourrit majoritairement de végétaux. Lors de la préhistoire, on trouve des témoignages d’adoration de l’Ours brun. C’est une bête de jeux du cirque fréquemment présentée chez les Romains. Les montreurs d’ours, jusqu’au XXe siècle encore, s’affichaient autrefois de manière régulière. J’ai souvenir d’en avoir vu un à Brest dans les années 1960 ! Il partage avec l’Homme la capacité de se mettre debout, il a frappé l’imaginaire, il est l’objet de nombreuses légendes et fait partie du folklore local… Que dire de la légende arthurienne aussi !

Carte postale avec des montreurs d’ours dans l’Ain (Thoiry)
Des représentations en enluminures de montreurs d’Ours sont connues dès le XIIe siècle.
©© by – Marshmallow – Alaska – Wikimedia commons
Piste d’Ours brun – Abruzzes, Italie (automne 2000)
©© byncsa – Cyrille Deliry
Douible trace d’Ours brun dans les Abruzzes (2000) à l’automne 2000- ©© byncsa – Cyrille Deliry

Références

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