Notion d’espèce, vers une définition rénovée

Pour aborder la notion d’espèce et reconstruire sa définition, il convient d’examiner dans un premier temps « toutes » les versions connues d’espèceS telles qu’appliquées par les scientifiques, d’identifier leur point commun et de mesurer leurs limites ainsi que d’écarter le cas les plus douteux et non conformes à la globalité. Il conviendra d’accepter alors que l’isolement reproductif s’il est une fin en ce qui concerne les espèces parfaites n’est pas une obligation et la notion d’espèce ne peut être séparé de celle d’isolement et de spéciation – déspéciation (= « speciation reverse ») liés à un contexte temporel qui est celui du moment de la désignation de l’espèce. L’espèce se mesure tant dans le présent que dans le passé, mais aussi dans l’espace et selon sa répartition, ses attitudes ou comportements. Par ailleurs il faut considérer que l’Homme est créateur de nouvelles situations de spéciation et dans ce sens d’espèces nouvelles.

La notion d’espèce est basée sur un critère de ressemblance et de parenté. Ainsi Georges Cuvier (1769-1832) définit l’espèce comme « une collection de tous les corps organisés, nés les uns des autres ou de parents communs, et de de ceux qui leur ressemblent autant qu’ils se ressemblent entre eux » et Charles Darwin (1809-1882) dit qu’il « considère le terme d’espèce comme arbitrairement donné par pure commodité à un ensemble d’individus se ressemblant entre eux ». Georges Buffon (1707-1788) attire néanmoins l’attention sur quelques difficulté et pour lui « la ressemblance d’individus n’est qu’une idée accessoire » donnant en exemple la plus grande ressemblance entre un âne et un cheval qui ne produisent que des hybrides infertils, qu’entre deux races de chiens, le barbet et le lévrier qui sont toutefois interféconds, de la même espèce. Aussi le critère biologique d’interfécondité est à considérer. Dans le cadre de l’étude des fossiles, seul le critère de ressemblance peut être appliqué. Lorsque des populations ne se rencontrent pas pour des motifs principaux, géographique ou éthologique, l’isolement génétique tend à opérer à une dérive génétique efficace (tendance à la spéciation), et de telles populations qui ne se reproduisent pas entre-elles ou très rarement, sont considérées comme des espèces différentes. Ernst Mayr considère en 1942 en conclusion que « les espèces sont des groupes de populations naturelles, effectivement ou potentiellement interfécondes, qui sont isolées d’autres groupes similaires ». Guillaume Lecointre considère en 2011 que « dans la nature, il n’y a pas d’espèce : il n’apparaît que des barrières de reproduction. Les espèce , ces nous qui les créons à partir d’un modèle théorique ». Dans la mesure où la dérive génétique par le jeu de l’évolution des gènes peut conduire à la rupture d’interfécondité en raison de l’augmentation de la différence entre deux populations, où l’isolement géographique ou comportemental peut être rompu soit en raison de déplacements, soit de changements comportementaux et alors deux populations peuvent finalement se reproduire entre-elles (ce que je considère comme un mécanisme de déspéciation), les espèces n’ont de valeur qu’à un moment donné, le temps jouant sur l’Évolution ou des possibilités de déspéciation.

Les notions d’espèceS

Il est couramment admis que la spéciation est un mécanisme d’isolement des espèces qui opère selon les deux principaux moteurs de l’évolution qui sont la dérive génétique et la sélection naturelle, le tout dans le cadre de la dynamique génétique des mutations naturelles, voire artificielles. La vitesse de la spéciation est liée à celle de l’apparition des nouvelles mutations et de leur conséquences au sein des populations. Par exemple une mutation neutre n’est pas propre à favoriser la spéciation. Quelques milliers de générations peuvent suffire. Nous verrons plus bas que dans le cadre de l’hybridation de certaines plantes, la spéciation peut ne « se faire » qu’en une seule génération, l’hybride ne peut pas se reproduire avec ses propres parents, mais peut le faire de manière indépendante et autonome et former ainsi une nouvelle population indépendante.

L’espèce est une entité naturelle fondamentale qui au sein d’une certaine variation génétique présente une grande unité qui lui confère la capacité de reproduction et l’isole reproductivement des espèces voisines, notamment de celles du même genre. Si des cas de reproduction surviennent naturellement et le plus souvent artificiellement entre deux espèces, les capacité de reproduction du descendant nommé hybride sont altérées bien souvent au point d’être nulle. Cette définition est traditionnelle et rend compte de la notion d’espèce biologique. L’ornithologue Ernst Mayr défini le concept d’espèce comme étant un groupe de populations naturelles interfertiles et isolées des autres sur le plan de la reproduction. C’est ce concept qui est aujourd’hui le plus régulièrement accepté [11]. Notons que les hybrides naturels sont relativement rares chez les animaux, alors que chez les plantes ils sont légion. Les hybrides chez de nombreuses plantes conservent même des capacités reproductives significatives.

Une lignée évolutive au cours des temps géologique concerne de proche en proche la même espèce, mais de bout en bout des espèces différentes. Aussi la distinction entre les différentes espèces fossiles est-elle pour partie artificielle et doit notamment se baser sur des distinctions morphologiques telles qu’il est matériellement possible de distinguer les individus d’une des espèces de la lignée, des autres espèces ainsi définies. Il convient de ne pas perdre de vue que nous avons cependant une même espèce glissant selon l’axe de l’évolution au cours du temps.

La même notion peut être approchée chez des populations qui de proche en proche peuvent se reproduire entre elles tout en restant fertiles, mais qui de bout à bout ne sont plus interfertiles. Il s’agit d’une variation clinale (species ring). Certains anneaux d’espèces conduisent à ce que chaque extrémité de la répartition finissent par se retrouver en couvrant le tour de la Terre. C’est le cas par exemple du complexe associé au Goéland argenté (cf. Larus argentatus) qui est un exemple à la fois bien étudié et finalement bien connu. On trouve à un bout le Goéland brun (Larus fuscus) en Europe qui après avoir de proche en proche « créé » un anneau d’espèces qui s’étend par le nord de l’Asie, jusqu’en Amérique et de nouveau en Europe où on trouve à l’autre bout ce qui paraît clairement comme une espèce différente, à savoir le Goéland argenté. Selon l’anneau on distingue des sous-espèces, mais c’est bien artificiellement que le concept d’espèce distincte apparaît dès le niveau de la Sibérie orientale alors qu’on passe du Goéland de Sibérie, (Larus fuscus heugleni) au Goéland de Birula (Larus argentatus birulai). Ces deux taxons pourtant reproductivement et génétiquement très proches se trouvent séparés sous deux espèces différentes… alors autant que la notion se passe dans des territoires où la densité des observateurs est faible !!! Certains classent même le Goéland de Birula dans l’espèce Larus vegae et le splitage est maximal pour certains ornithologues qui distinguent dans l’ordre depuis la France, le Bénélux et la Scandinavie Larus fuscus puis Larus heuglini suivi de Larus vegae jusqu’à la pointe de l’Asie orientale suivi de Larus smithonianus et enfin Larus argentatus sympatrique de Larus fuscus. Ce dernier Géoland de l’anneau d’espèce s’hybride (on devrait dire dans ce cas se métisse) avec Larus fuscus et les descendants présentent une capacité reproductive altérée. A contrario la fusion des Goélands bruns et argentés dans une même espèce paraîtra incohérentes, aussi il s’agit bien de désigner chaque population clairement définissable en plusieurs espèces et en conséquence de spliter l’ensemble. Néanmoins une application extrême de cette solution finirait pas spliter toutes les sous-espèces d’Oiseaux en nouvelles espèces. Or, tant qu’il n’est pas démontré que les pôles les plus opposés ne sont pas isolés reproductivement, il convient de conserver l’ensemble dans une seule et même espèce et d’en rester à une distinction de sous-espèces, voire de populations. Donc on devrait finalement réunir tous ces Goélands dans la même espèce (solution 1) ou de manière pratique et à la façon de la désignation des lignées fossiles, se baser sur des éléments morphologiques ou chromatiques relativement constants dans une population donnée, mais distincts de ceux des populations voisines et avec un minimum d’intermédiaires in natura chez les métisses naturels. La solution du splitage maximum est en accord avec cette vision des choses. Nous nous trouvons toutefois dans cette dernière hypothèse (solution 2) en présence d’espèces qui sortent du concept d’isolement reproductif. Nous avons en conséquence des espèces morphologiques qui échappent à la notion traditionnelle d’espèce biologique.

D’autres espèces correspondent à des hybrides stabilisés qui s’isolent (ou non) de leurs parents, gardent leur pleine capacité reproductive, voire même acquierent des compétences (cf. vigueur hybride) inédites propres à la colonisation d’habitats ou de régions du monde qui sont inaccessibles à l’un ou l’autre des deux parents, voire au deux. Les Fougères correspondent souvent à ce concept. On trouve des cas chez les Grenouilles par exemple dans le genre Pelophylax (cf. kleptons) en Europe occidentale. ou Des oiseaux sont à considérer. Par exemple le Moineau cisalpin (Passer italicus) paraît comme un hybride stabilisé entre le Moineau domestique (Passer domesticus) et le Moineau espagnol (Passer hispaniolensis). Nous sommes en présence ici d’un autre type d’espèces : les espèces hybrides qui sortent des cas ponctuels d’hybridation, avec dans divers cas la parfaite capacité de telles espèces à vivre indépendamment des leurs parents. Dans un tel contexte on connaît chez les plantes par exemple même des hybrides stabilisés qui sont nécessairement autonomes vis à vis des parents. Les mécanismes chromosomiques opèrent alors par tétraploïdie avec fonctionnement en parallèle des deux lots chromosomiques parentaux. L’hybride tétraploïde peut dans ce cas être immédiatement isolé de ses deux parents et ne plus pouvoir se reproduire avec eux. C’est une sorte d’hybride autonome avec une « nouvelle espèce » qui peut se former en une simple génération suite à la rencontre fortuite des parents. Le mécanisme chromosomique étant éprouvé selon une possibilité de répétition, une telle espèce hybride peut même se former à plusieurs reprise, c’est à dire à chaque fois qu’il y a hybridation entre les deux parents considérés.

Dans quelques cas, probablement nombreux en définitive, l’isolement géographique (isolement allopatrique) conduit au moins techniquement à un isolement reproductif. Nous sommes alors en présence de deux populations, par exemple l’une continentale, l’autre insulaire, qui ne se rencontreront jamais à moins qu’on les réunisse artificiellement. Nous avons en conséquence des espèces insulaires (le terme d’espèces vicariantes pourrait être adapté, mais il nous semble moins bien compris par chacun et paraître en conséquence moins explicite en termes de communication) qui d’aucune manière sont en train de diverger génétiquement de la population continentale ou principale. Le mécanisme de spéciation opère le plus souvent et c’est alors une question de temps pour acter la différence et conduire à la formation de nouvelles espèces alors séparées, outre géographiquement, mais aussi génétiquement. On rencontre par ailleurs des espèces qui s’isolent selon des niches écologiques différentes voire des habitats divergents (isolement parapatrique). À plus ou moins long terme de telles espèces écologiques pourront ne plus pouvoir se reproduire entre-elles et au moins dans un premier temps la divergence des habitudes écologiques isole tellement les populations qu’elles tendent à ne plus se rencontrer.

Exemple de l’orque (Orcinus orca) du Pacifique. au sein de l’espèce, on distingue des populations « résidentes » et d’autres « nomades » sur une même aire. comportements, vocalisations, alimentation et morphologies différents : ne se mélangent pas. début de spéciation ?

Proche de ces mécanismes des divergences comportementales peuvent conduire à la formation d’espèces distinctes à partir d’un noyau originel, soit qu’une des populations migre et pas l’autre, isolant ainsi les habitudes de chaque élément, soit qu’une part de la population change de comportement reproducteur (éléments de la parade par exemple) et se distingue du reste de la population. Cette différence de langage éthologique peut alors se traduire par une incompréhension propre à isoler les individus « originaux » du reste de la population (« conflit sexuel »). On peut parler d’espèces éthologiques. Ce dernier mécanisme peut avoir des conséquence très rapide conduisant à un isolement reproducteur d’une partie de la population à partir de quelques individus seulement, ce, de manière parfaitement sympatrique.

Des phénomènes d’isolement reproducteurs peuvent avoir une origine tout à fait artificielle sous l’application de la domestication ou dans le cadre d’expériences de laboratoire. Une autre situation artificielle concerne notamment les introductions d’espèces sur des continents ou espaces géographiques différents. Ainsi les Moineaux domestiques (Passer domesticus) introduits aux Etats Unis, ne sont plus les mêmes que ceux qui vivent en Europe. On a même distingué déjà des divergences morphologiques ou chromatiques entre les deux éléments considérés. N’avons-nous pas désormais deux espèces (isolats) ? Répondant aux contextes exposés dans ce paragraphe nous dégageons les espèces domestiques, les espèces artificielles et des espèces acclimatées. Notons que ces dernières, outre les différences envisagées ci-dessous, ont souvent une écologie particulièrement offensive dans leur aire d’introduction, parfaitement différente de celle qui règne selon les équilibre du domaine originel on les dit volontiers « invasives » mais le concept d’espèce acclimatées nous semble plus adapté car il répond à tous les cas et la dynamique invasive ne correspond qu’à quelques cas seulement. Dans les deux situations les mécanismes de spéciation sont similaires mais l’impact écologique diffère. Le cas des espèces domestique mérite aussi d’être discutée en terme de limites du concepts. Par exemple deux chiens de races très différentes ne peuvent plus se reproduire entre-elles en raison de caractéristiques physiques évidentes ou de différences du développement embryonnaire divergent. Ainsi un Chihuahua ne peut pas de reproduire avec un Saint-Bernard, et dans cet exemple même une insémination artificielle devrait échouer en raison de durées différentes de la gestation et de dimension relative de l’embryon procréé d’une telle manière. Nous avons ici une espèce qui peut tendre à fonctionner comme de multiples espèces en raison de la sélection artificielle opérée par l’Homme dans le cadre de la « domestication » et de la sélection artificielle. Dans le prolongement de ces aspects, il nous semblent tout à fait probable que les mécanismes de co-évolution puissent pour partie ressembler à une sorte de co-domestication naturelle. En effet la plante s’adapte à l’insecte et l’insecte à la plante par exemple, mais aussi par ses caractéristiques propres sélectionne (certes involontairement) des caractéristiques les mieux adaptées à ses « besoins » biologiques chez les insectes correspondants. Ceci s’approche en conséquence par une sélection d’une espèce par une espèce et réponds en quelque sorte à un mécanisme proche de la domestication.

Enfin il convient de discuter de ce que nous ne pouvons pas encore déceler pas facilement ou pas clairement définir au sein d’espèces jumelles ou d’espèces cryptiques. On préfèrera la notion d’espèces jumelles lorsqu’il est possible d’en définir les caractéristiques propres qui peuvent par exemple être d’ordre écologique (cf. écotypes) ou éthologique (isolement comportemental). Celle d’espèces cryptiques nous semble plus adaptées à des espèces que seuls – en l’état des connaissances du moment – les analyses génétiques permettent d’identifier. Se surimposant à l’étude de ces dernières il est alors pratique de ne pas tenir compte des divergences lors des études sur le terrain. Ces sortes d’espèces pratiques masquent en définitive deux ou plusieurs espèces qui ne seront distinguées que par des analyses génétiques. Il y a fort à parier que bon nombre de nos espèces sont en définitive des espèces pratiques et qu’elles cachent des espèces que nous ne savons pas déceler tant que des analyses génétiques ne sont pas organisées.

Il convient de considérer que tant que l’isolement reproducteur n’est pas absolus, c’est à dire lié à une impossibilité de reproduction ou lié à une hybridation stérile, le retour en arrière reste possible. Ainsi la formation d’un isthme entre une île et le continent permet le retour des brassages génétiques entre des populations jusqu’alors isolées. Des déplacements et la conquête de nouveaux territoires en Europe par l’Homme moderne (Homo sapiens) s’est de toute évidence traduite par une implantation de gènes de l’Homme de Néanderthal (Homo neanderthalis) au sein de ceux de ces Hommes modernes venant coloniser le continent européen. Dans cet exemple l’Homme moderne est en quelque sorte un peu d’Homme de Néanderthal car il en inclus quelques gènes. Il en est de même quant à l’intégration de gènes dénisoviens empruntés à l’Homme de Dénisova (non nommé scientifiquement !). On pourrait parler de « déspéciation » suite à un redimensionnement du pool génétique des populations considérées et une réappropriation par les populations d’anciens gènes perdus, tout comme il y a adoption de nouveaux gènes qui s’étaient formées dans les populations isolés jusqu’au moment du retour en arrière. Le pool génétique à la fois régresse, tout en progressant autrement en explorant de nouvelles voies associées à des événements particuliers.

Définition rénovée de la notion d’espèce

Une espèce est une entité naturelle fondamentale correspondant à la perception ou compréhension des relations à un moment donné de l’état d’isolement d’une population (ou d’un complexe de populations) avec une autre population conduisant à la ségrégation des gènes et permettant l’opération des mécanismes de spéciation (dérive génétique et sélection naturelle). Les deux isolats forment alors deux espèces différentes.

Les entités peuvent être isolées du point de vue reproductif (espèce biologique [1]) ou pas encore (espèce morphologique [2], espèce fossile [3]), être stabilisé de ce point de vue et devenir autonome des populations mères (espèce hybride [4]), se retrouver isolé par des barrières géographiques (espèce insulaire [5]), des divergences dans le choix des biotopes (espèce écologique [6]), des comportements (espèce éthologique [7]) ou être le fruit d’isolement liés à l’Homme (espèces domestique [8], artificielle [9] ou acclimatée [10]). Le mécanisme de spéciation qui fait appel à des moteurs de l’Évolution qui sont la dérive génétique par accumulation de mutations et la sélection naturelle des caractéristiques les plus adaptées au contexte est à l’origine de nouvelles espèces qui de manière optimale se traduit par un parfait isolement reproductif (espèce biologique parfaite). Tant que l’isolement reproductif n’est pas complet on peut assister si les mécanismes d’isolement cessent à une déspéciation conduisant à la remise en commun des pools génétiques en présence.

Ce qui paraîtra fondamental dans la définition d’espèce est l’importance de l’isolement des populations entre-elles et la diversité des conditions possibles de cet isolement à mettre en rapport avec une diversité de type d’espèces étudiées. Il y a plusieurs types d’espèces et non un seul type, qui chacun répond à cette notion d’isolement et qui à terme est en mesure de conduire à la formation par spéciation d’espèces naturelles parfaites. Tant qu’une espèce n’a pas acquis ce statut d’espèce parfaite on peut dans certaines conditions assister à des mécanismes « régressifs » de déspéciation par réappropriation ou partage de gènes particuliers. On peut même envisager que dans ce contexte de nouvelles espèces se forment par simple fusion de deux pools génétiques appartenant à deux populations qui initialement étaient considérées comme deux espèces, mais qui n’étaient pas encore isolées du point de vue reproductif.

On doit envisager en dernier lieu que de nombreuses espèces ne sont pas facilement comprises par les scientifiques (espèces jumelles, espèces cryptiques) et que de manière générale on travail sur ce qu’il est possible sinon pratique, de percevoir (espèces pratiques).

Notons que si on ne distinguait pas les espèces en se basant sur quelques critères d’isolement on en serait à considérer que tous les animaux appartiennent à la même espèce. En effet toute la faune est en mesure ou a été au cours des temps géologique fondée sur une même souche. Il en est de même pour le Vivant tout entier selon la notion de LUCA.

Annexe – Illustrations par des exemples

[1] Une grande partie des espèces que nous étudions, plus particulièrement chez les animaux, sont des espèces biologiques. Ainsi la Fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla) est-elle une entité voisine de la Fauvette des jardins (Sylvia borin) appartenant au même genre.

Screenshot

[2] – Le complexe des Goélands argentés-bruns peut être donné en exemple et a été développé plus haut. Dans leur cas, si les populations peuvent se reproduire de proche en proche selon un anneau d’espèces, les populations situées aux extrêmes bien que sympatriques par une effet orbis terrarum, à savoir le Goéland brun et le Goéland argenté sont isolés du point de vue reproductif, même si quelques hybrides instables peuvent exister. Dans un tel contexte il convient de spliter l’ensemble pour rigueur et d’attribuer à chaque entité un nom d’espèce différent. En effet il ne paraît pas cohérent de décider, sauf éléments génétiques clairs, que le premier argentatus du « species ring » soit plus volontiers en Sibérie centrale qu’en Amérique du Nord.

[3] – Les Cérithes sont des Mollusques dont on possède de nombreux représentants fossiles. De véritables lignées d’échantillons se ressemblant de proche en proche sont propres à former à leurs extrêmes des individus qui paraîtront nettement différents. Il est clair qu’aux deux pôles on possède des espèces différentes, mais pas par analyse de proximité des échantillons. La distinction des espèces au sein de telles lignées est alors basée sur des critères morphologiques quelque peu arbitraires.

[4] – Si nous avons vu l’exemple du Moineau cisalpin (Passer italicus) comme hybride stabilisé, le cas de la Grenouille verte (Pelophylax esculentus) répond à la notion de klepton est un hybride autonome en termes de reproduction. La Fougère des Chartreux (Dryopteris carthusiana) est un hybride stabilisé et parfaitement autonome, colonisant des habitats et des contrées différentes de celle de ses parents qui sont Dryopteris intermedia et Dryopteris semicristata. L’Ortie royale (Galeopsis tetrahit ; 2N=36) est un hybride de Galeopsis pubescens (2N=16) et de Galeopsis speciosa (2N=16). Cette espèce semble pouvoir se former en une seule génération par hybridation de ses parents. Elle est ensuite parfaitement autonome en terme de reproduction. Par contre la rencontre de Triticum durum (2N=28) avec Secale secale (2N=14) forme un hybride stérile (2N=42) qui est fondamentalement hexaploïde. On parle de « mulet » même chez les plantes lorsque les hybrides sont stériles.

[5] – La Salamandre de Corse (Salamandra corsica) bien que proche de son homologue continentale, la Salamandre tachetée (Salamandra salamandra) est considérée comme étant une espèce distincte. Quant à la Grenouille verte présente sur la même île elle est tantôt considérée comme une espèces sous le nom de Grenouille de Berger (Pelophylax bergeri), tantôt considérée comme une simple variante de la Grenouille de Lessona (Pelophylax lessonae). Les Mésanges bleues insulaires sont souvent considérées comme des sous-espèces avec par exemple aux Baléares Cyanistes caeruleus balearicus, mais ne devrait-on pas plutôt traiter ce taxon comme une espèce dans la mesure où l’isolement est forcé par sa situation insulaire. Ainsi pour les Canaries, la Mésange bleue a-t-elle été bien distinguée en 2002 comme une espèce à part entière. Il sera néanmoins difficile de faire admettre à la communauté que Cyanistes balearicus est à considérer de la même manière comme une espèce, même si sa différenciation est moins profonde que celle de son homologue des Canaries. Une Mesange bleu des Baléares ne se reproduira pas avec un individu continental et les mécanismes de spéciation ont déjà opérés.

[6] – On trouve chez les Drosophiles deux espèces jumelles avec Drosophila pseudoobscura et Drosophila persimilis. La seconde se rencontre plus souvent à une altitude élevée et présente une préférence pour les températures plus froides que la première. Elle a en conséquence une distribution plus nordique. Si les deux espèces ne savent pas être facilement distinguées morphologiquement, elles diffèrent par leur écologie. Initialement on distinguait chez pseudoobscura deux races (A et B) qui présentaient entre-elles des anomalies de reproduction. Ces deux races sont finalement considérées comme deux espèces mais il apparaît « impossible » de les distinguer sur le terrain, sauf à considérer la différence écologique qui les caractérise.

[7] – On distingue chez des Criquets du genre Anaxipha deux espèces qui ont des chants quasiment identiques, mais dont l’isolement spécifique se fait par des comportements qui diffèrent. En effet l’un chante de nuit caché sous les écorces et le second chante pendant la journée depuis des Fougères situées entre les mêmes arbres que ceux occupés par la première espèce.

[8] – L’exemple des espèces domestiques sont parfaitement bien présentés par le cas du Chien Canis familiaris. Issu des Loups (Canis lupus), il en est parfois présenté comme une sous-espèce ainsi : Canis lupus familiaris. En raison de l’isolement des chiens avec les Loups du point de vue des possibilités reproductives naturelles, il n’y a pas lieu de les rassembler. Le métissage existe, mais il paraîtra accidentel. Par contre on ne va pas créer autant d’espèces qu’il y a de multiples races chez le chien, malgré l’isolement reproductif clair entre certaines d’entre-elles en particulier en raison de différences physiologiques et morphologiques qui empêchent à la fois la réussite des grossesses et les possibilités d’accouplement. Ceci n’aurait pas de sens et le terme de race est parfaitement adapté à ce contexte. De la même manière que le complexe Chien et Loup, il convient d’appeler un Chat, un chat. Ainsi Felis catus doit être regarder indépendamment du Chat forestier Felis silvestris et la notion de Felis silvestris catus qui circule couramment nous semble impropre pour deux raisons d’ailleurs : la même que celle qui est en rapport entre l’isolement relatif entre le Chien et le Loup, la seconde est d’ordre taxonomique car puisque le Chat a été décrit par Linnaeus en 1758 et que le Chat forestier l’a été par Schreber en 1777, la version taxonomique correcte serait en fait Felis catus catus et Felis catus silvestris, ce à quoi jamais personne ne semble s’être risqué ! Le cas du Cheval est à étudier. De manière particulière, il n’y ne semble pas y avoir de nom domestique propre à cet animal : pour la plupart c’est Equus caballus que l’animal soit domestique ou sauvage. Dans les faits un nom pour les populations sauvages a été forgé par Boddaert en 1785 : c’est Equus ferus. Si c’est un nom peu utilisé, il semble avoir été récemment exhumé. On trouve alors la même erreur que le Chat avec Equus ferus caballus pour désigner le cheval domestique alors qu’on devrait avoir du point de vue taxonomique respectivement Equus caballus caballus et Equus caballus ferus puisque caballus a été décrit antérieurement par Linnaeus en 1758.

[9] – Les laboratoires dans le cadre de leurs activités pourraient être propres à forger de nouvelles espèces notamment chez des Organismes Génétiquement Modifiés. Je n’ai pas d’exemple sous la main et quand bien même seraient-ils nommés selon les normes de la taxonomie générale ? Par ailleurs les Botanistes se sont occupés de créer des hybrides qui ne sauraient apparaître dans la nature en rapprochant des parents conduisant à des descendants fertiles et autonomes. Ce sont en théorie des nouvelles espèces au sens où nous entendons ce concept.

[10] – Je pense que des espèces issues d’acclimatation et qui ont divergé sous d’autres contrés de leur parent doivent exister au moins chez les plantes. Je ne trouve pas d’exemple rapidement. Le cas du Moineau domestique américain (Passer domesticus) a entamé en quelques générations une certaine spéciation. Ceci paraît méconnu et peu étudié. Les Moineaux présents aux Etats Unis sont entrés dans une voie de spéciation. Des apports réguliers probables depuis l’Europe sont par contre propres à ralentir le phénomène dans la mesure où des gènes perdus par dérive, sont réinjectés dans la population américaine.

Cyrille Deliry, Niort le 19 avril 2019

[11] Note ajoutée le 17 février 2023 – Les taxons n’ayant pas de reproduction sexuée régulière, ne peuvent pas êtres traitées selon cette définition et ce sont alors des critères morphologique et d’isolement des mécanismes de reproduction partagés au sein des populations qui vont alors être à considérer.

Page relue et ajustée le 10 décembre 2023