La Demoiselle des Hauts, est une très petite espèce qui présente avec sa population isolée sur l’île de La Réunion suffisamment d’originalité pour mériter d’être distinguée, si on se fie aux éléments de son histoire, sous le nom d’Africallagma glaucum sikorae (Förster, 1906). Il ne s’agit peut-être que d’un simple écotype et des analyses génétiques pourraient finalement révéler un taxon distinct ou divergent pour cette espèce fondamentalement présente en Afrique continentale.

©© bync – François Rouseu – iNaturalist
Dans les Hauts de l’île de La Réunion, on peut observer une très petite libellule, mesurant à peine 3 cm de long. Elle fréquente les eaux calmes ainsi que les ravines qui restent en eau toute l’année. On la rencontre également le long des routes ou sur des sentiers forestiers, probablement en simple déplacement. Michel Yerokine l’a surnommée la Demoiselle des Hauts (Yerokine [2023]). En effet, cette espèce n’est présente qu’au dessus de 600 m et elle dépasse les 1800 mètres d’altitude sur l’île (voire atteint les 2100 m selon la photographie ci-dessus).
Il s’agit d’une espèce africaine, Africallagma glaucum, dont la présence à La Réunion est étonnante, car elle est totalement absente de Madagascar et n’est connue ici qu’en altitude. On pourrait dire qu’elle semble égarée sur ce petit territoire isolé, loin de toute autre population connue. Sa recherche dans des habitats similaires et élevés, à Madagascar semble à faire.
Il s’agit d’une Libellule africaine qui est comme égarée sur ce bout d’île, loin de toute autre localité. Elle n’est pas même connue à Madagascar et ni vit qu’en altitude sur La Réunion. On la nomme Africallagma glaucum.
L’histoire de cette libellule à La Réunion commence sous un autre nom. Le naturaliste Franz Sikora (1863–1902) en a récolté un spécimen sur l’île le 10 février 1901. Ce dernier fut décrit par Förster en 1906 sous le nom Pseudagrion sikorae, en hommage à Sikora, connu pour ses nombreuses collectes naturalistes, notamment à Madagascar. La description de Förster est suffisamment précise, en particulier sur le segment 10 de l’abdomen, pour que le spécimen traité soit rattachée au genre Africallagma. Notons pour l’anecdote que spécimen initial a été conservé d’abord dans du rhum et du formol, avant d’être monté à sec par Förster, qui fut surpris par sa très petite taille. Il l’ajouta à sa collection, aujourd’hui conservée à Ann Arbor, au Michigan (États-Unis).
C’est en 1908 que Ris, puis en 1962 que Pinhey proposent de rapprocher Pseudagrion sikorae de l’africaine, Enallagma glaucum (Burmeister, 1839). Le second auteur la place dans le sous-genre, Enallagma (Africallagma). Cette dernière est une espèce commune dans le sud de l’Afrique, depuis le Cap de Bonne-Espérance jusqu’à l’Afrique centrale alors qu’elle y est moins densément réprésentée. Elle atteint le Mozambique à l’est de l’Afrique. La population réunionnaise, qui ne présente pas de différences notables par rapport à celles du continent, semble isolée, voire « perdue », sur l’île.
En Afrique, Africallagma glaucum est associée aux zones arides où on la trouve dans des marais subtropicaux au sein de zones arbustives. Elle peut atteindre jusqu’à 3200 m d’altitude sur le continent. Si aucun caractère morphologique ne distingue les individus réunionnais de leurs congénères africains, certains éléments de leur écologie locale suggèrent qu’il pourrait s’agir d’une sous-espèce ou d’un écotype propre à La Réunion. Dans ce cas, le nom approprié serait Africallagma glaucum sikorae (Förster, 1906).
Outre cette originalité géographique, certains aspects de la biologie et de l’écologie de la population réunionnaise sont spécifiques. Sur le continent, cette libellule est visible toute l’année, avec un creux d’effectifs pendant l’hiver austral. À La Réunion, le cycle est comparable, mais elle n’est observée que d’octobre à mai. Ce qui retient l’attention, c’est la présence d’individus immatures dès le mois d’avril, suggérant l’existence de deux générations par an. Si elle disparaît en mai, cela soulève une question : où passent ces libellules pendant l’hiver austral ? Meurent-elles vraiment ? Peut-être se réfugient-elles dans des habitats encore inconnus. Pour répondre à cette hypothèse, des recherches ciblées entre juin et septembre seraient nécessaires, dans divers habitats. De plus, un examen minutieux des individus observés en octobre permettrait de déterminer s’il s’agit exclusivement de nouveaux imagos fraîchement émergés ou s’il y a aussi des adultes matures ayant survécu à l’hiver.
Si dès 1920, Kennedy avait proposé le genre Africallagma pour Agrion glaucum Burmeister, 1839, l’année suivante, Ris (1921) range cette espèce dans le genre Enallagma tout comme l’avait déjà fait auparavant Calvert (1898). Pinhey (1962) utilise un sous-genre, Enallagma (Africallagma) glaucum et les auteurs, sauf May (2002) qui restaure Africallagma, s’attardent longtemps tout simplement sous Enallagma glaucum et on voit encore ce nom dans les documents jusqu’au début des années 2020. Africallagma glaucum (Burmeister, 1839) est désormais le nom considéré comme adéquate.

©© bync – François Rouseu – iNaturalist
Niort les 17 et 18 août 2025
- Calvert P.P. 1898 – Burmeister’s Types of Odonata. – Transactions of the American Entomological Society, 25 : 27-104 (+ pl.I). – PDF LINK
- Förster F. 1906 – Die Libellulidengattungen von Afrika und Madagaskar. – Jahresbericht Mannheimer Vereins Naturkunde, 71/72 : 1-67. – ONLINE
- Deliry C. [2025] – Africallagma glaucum. – Ⓑlog de La Selysienne, 4 avril 2024, révision du 17 août 2025. – ONLINE
- Kennedy C.H. 1920 – Forty-two hitherto unrecognized genera and subgenera of Zygoptera. – The Ohio Journal of Science, 21 (2) : 83-88. – ONLINE
- May M.L. 2002 – Phylogeny and taxonomy of the damselfly genus Enallagma and related taxa (Odonata : Zygoptera : Coenagrionidae). – Systematic Entomology, 27 : 387-408. – ONLINE
- Pinhey E.C. 1962 – A descriptive catalogue of the Odonata of Africa continent. – Publçoes cult. Co. Diam. Angola, 59 (1/2) : 1-321.
- Ris F. 1908 – Odonata. Nach dem Sammlungen L. Schultze’s und Katalog der Odonaten von Südafrika. – Denkschriften medizinisch-naturwissenschaftlichen Gesellschaft Jena, 13 : 303-346 (17 fig.). – ONLINE
- Yerokine M. [2023] – Africallagma glaucum la demoiselle des hauts de La Réunion. – La Selysienne, odonatagallica.com, 8 décembre 2023. – ONLINE Ⓑlog