Critères de cohérence en taxonomie, synonymies et déterminations

L’élément taxonomique de base est l’espèce, désignée par un nom (binom) à la manière de Linnaeus (Linné) depuis 1758 (voire Clerck 1757). Dans le domaine de la Zoologie, il est formé du Genre et de l’espèce (épithète spécifique, toujours en minuscule et accompagné du Genre avec une majuscule), rédigés en italique (ou soulignés) suivi du nom de l’auteur. Le premier nom publié pour une espèce donnée est le seul conservé (Principe de priorité, sauf décision officielle de l’ICZN qui peut forcer la conservation d’un nom : nomen conservandum). Les autres binoms sont des synonymes s’ils concernent la même espèce, ou des homonymes, s’ils conservent des espèces différentes. Dans ce dernier cas, seul le nom le plus ancien est conservé, les suivants doivent être remplacés. Un nouveau nom peut être désigné sans description particulière dans ce cas (nomen novum). La publication doit être réputée disponible et accessible. Ainsi les essais, rapports ou thèses ne peuvent rendre compte de nouvelles espèces valides. Tout nom correctement publié est un nom disponible, mais un seul est retenu, c’est le nom valide. D’autres noms publiés de manière incorrecte, sans respect de la qualité de la publication et de la typification sont des noms indisponibles (nomen nudum, sans description ou nomen invalidum). Ils n’interfèrent pas sur les autres conditions et ce ne sont par exemple pas des homonymes à considérer : ils ne sont pas officiels. Les autres noms sont soit des synonymes, soit des homonymes, soit ont été rejetés par l’ICNZ. Dans de rares cas, il y a une incertitude quant à l’application d’un nom pourtant valide, par exemple lorsque le type a été perdu (et non remplacé par un néotype), la description est trop vague et n’a pas été remplacée par une meilleure depuis. Il s’agit d’un nom « douteux » (nomen dubium), cas qui reste exceptionnel en Zoologie. Notons enfin que si une espèce est changé de genre, ceci conduit à nouvelle combinaison (comb. nov.), l’auteur initial est marqué entre parenthèse et l’auteur de la nouvelle combinaison peut être signalé. Par exemple Libellula aenea Linnaeus, 1758 devient Cordulia aenea (Linnaeus, 1758) (Leach in Brewstser, 1815, comb. nov.). Sauf erreur de ma part, cette nouvelle combinaison est restée plutôt stable depuis sa formation en 1815.

Chaque espèce doit être rapporté à un type, le spécimen-type est conservé dans une collection de référence, en général dans un muséum, une université ou un institution. La localité-type est désignée selon le lieu où a été récolté le type.

  • Holotype : unique spécimen de référence qui a servit de base à la description. Il fixe le nom de l’espèce.
  • Paratypes : peuvent accompagner l’holotype dans la description originale et rendent compte de la variabilité de l’espèce.
  • Syntypes : si plusieurs spécimens sont concernés pour la description,, sans désignation d’holotype.
  • Lectotype : spécimen désigné ultérieurement parmi les syntypes, si l’holotype n’avait pas été désigné, les autres spécimens deviennent de fait des paratypes dans un tel cas.
  • Néotype : nouveau spécimen de référence dans le cas où le type aurait été égaré ou détruit.

Il peut arriver qu’un nom, pourtant valide et prioritaire, n’ait pas été utilisé pendant plus de 50 ans, période pendant laquelle un autre nom a été largement utilisé, à savoir au moins 25 publications et 10 auteurs différents. Ce nom a été oublié (nomen oblitum) et le nom en usage est protégé (nomen protectum). L’ICZN peut en décider autrement et restaurer la situation (nomen conservandum).

  • Schneider T., Schneider E., Schneider J., Vierstraete A. & Dumont H.J. 2015 Aeshna vercanica sp. nov. from Iran with a new insight into the Aeshna cyanea-group (Odonata: Aeshnidae). – Odonatologica, 44 (1/2) : 81-106. [En ligne ➚]
  • Holotype – Mâle collecté le 14 juillet 2013 dans la forêt hyrcanienne des montagnes de l’Alborz, province de Māzandarān au nord-ouest de l’Iran.
L’holotype est déposé au Museum für Naturkunde (ZMHB – Berlin, Allemagne), il est accompagné de 13 mâles et 2 femelles (dispersés dans les collections des Schneider et de H.J.Dumont)

Les progrès des analyses génétiques tendent à favoriser la détection de nouvelles synonymies : deux noms désignent en fait la même espèce, ce qui n’avait pas été détecté ou prouvé par les auteurs. Inversement, deux espèces jumelles peuvent être détectées par de telles analyses. Pour valider de telles synonymies, des critères de vérification s’imposent sur des bases morphologiques (y compris en termes de coloration), géographiques (cohérence de la répartition et capacité de déplacement des espèces) et génétiques (similitudes génétiques fortes). De manière complémentaires des éléments écologiques, biologiques (dont phénologiques) ou éthologiques peuvent être considérés.

En ce qui concerne les taxons supérieurs comme les genres, la démarche mérite d’être à la fois conservatrice et informative. L’objectif des genres est de rassembler des espèces qui se ressemblent sur les trois critères à la fois et par défaut sur un des critères sauf si autre paramètre vient le contredire raisonnablement. Ainsi, si les auteurs avaient désignés de manière antérieure deux genres, ils ne devraient être assemblés que si les trois critères sont cohérents. La génétique seule ne devrait pas motiver la perte de genres déjà en place et qui restent cohérents sur les trois critères car ils donnent une information significative en assemblant des espèces, déjà assemblées par les auteurs et en terme de stabilité taxonomique, les éléments de cohérence étant donnés, il n’y a pas lieu de faire des synonymies alors que les noms complets et cohérents étaient forgés par les auteurs et étaient en usage courrant. Par contre un seul des trois critères peut motiver le splitage d’un genre déjà en place en veillant à conserver le nom original pour l’espèce-type du genre considéré. Les divergences morphologiques, géographiques ou génétiques (assemblage générique paraphylétique) rendent les nouveaux groupes d’espèces assemblées dans un même genre, mais à condition qu’elles appartiennent, si l’étude en a été fait à la même branche génétique. Ainsi il n’est pas cohérent d’assembler dans le même genre, deux espèces qui sont placées sur deux branches génétiques différentes (sans être rassemblées dans un même rameau plus large). Il en est de même si la règle monophylétique est respectée du point de vue génétique, si des divergences morphologiques ou géographiques fortes interviennent.

La qualité des déterminations est améliorée selon les trois critères principaux et peuvent s’appuyer en outre sur des éléments écologiques, biologiques (dont phénologiques) ou éthologiques. L’étude des populations (plusieurs individus) permettent d’éviter les variants phénotypiques ou individus égarés, en particulier dans le cas de la désignation des sous-espèces ou celui des espèces de détermination difficile. La détermination, et présence, d’une espèce ou d’une sous-espèce à en endroit donné ne devrait se fonder que sur des éléments qui restent en cohérence avec les connaissances du moment, ou démontrés en approfondissant les recherches et les études des populations déterminées.

La désignation d’une espèce est avant tout biologique : il s’agit de populations isolées par une barrière reproductrice, idéalement forte. C’est à dire que les individus qui tentent de se reproduire entre-eux donnent au mieux des hybrides idéalement stériles. Deux populations génétiquement très proches peuvent, par seulement quelques variantes phénotypiques être morphologiquement dissemblables ou si elles paraissent jumelles être toutefois soumises à une barrière de reproduction suffisante pour se trouver isolées en tant qu’espèces jumelles y compris morphologiquement. La synonymie ce n’est pas automatique et le concept se fait tout en nuances.

  • 1758 – La dixième édition du Systema naturae introduit la nomenclature binominale moderne à l’initiative de Linnaeus (Carl von Linné), à savoir la formation des noms d’espèces sur des binoms Genus species. Seul un travail de Clerck (1757) qui a été identifié récemment, comme antérieur à cet ouvrage et qui utilisait des binoms cohérents unanimement acceptés par la communauté naturaliste, pour les Araignées de Suède, fait exception à cette date en Zoologie.
  • 1800-1850 – De nombreux naturalistes adoptent des règles implicites, ce qui tend à stabiliser la nomenclature : priorité chronologique, description (ou illustration) suffisante, publications connues. Toutefois de nombreux synonymes ou homonymes sont alors créés, ce qui crée de la confusion.
  • Fin du XIXe siècle – Les premières tentatives formelles de codification et une Commission va se mettre en place. La priorité est confirmée, chaque espèce doit être associée à un spécimen de référence, idéalement l’holotype déposé dans des collections généralement publiques comme des muséums.
  • 1905 – Premiers codes de nomenclature qui fonderont le Code zoologique, sont publiés. Les espèces ne sont valides que si elles sont publiés avec une description suffisante, la priorité chronologique est une règle fondamentale, les taxonymes plus récents sont des synonymes.
  • 1961 – Le premier Code officiel (ICZN) fixe que la typification est obligatoire, la publication doit être valide, gestion de situations de conflits taxonomiques, possibilité de décisions fixées par la Commission Internationale de Nomenclature Zoologique.
  • 1999-2012 – Ajustements du Codes aux conditions modernes de publication. Afin d’éviter un « chaos taxonomique », la stabilisation des noms est renforcée (nom inutilisé depuis plus de 50 ans vis à vis d’un nom d’usage, cité dans plus de 25 publications, provenant d’au moins 10 auteurs différents, sauf décision explicite de l’ICZN), même s’ils sont historiquement incorrects; des règles plus précises sont données pour les types, les synonymes, homonymes ou néotypes. Dès 2012 les publications électroniques sont acceptées si elle est enregistrée dans ZooBank où chaque espèce possède un identifiant unique (Life Science Identifier ou LSID), date de mise en ligne est explicite, le format électronique est fixe, durable et archivable comme des PDF, elle est accessible au public en permanence.

CD – Niort le 26 octobre 2025