Être ou ne pas être Trithemis annulata ?

Communiqué du 1er octobre 2024, révisé le 9 février 2025

J’ai entamé de longue date une réflexion autour de Trithemis annulata, d’abord en termes de suivi de son installation progressive dans le sud de l’Europe et en particulier en France, ensuite considérant que Trithemis annulata haematina, réputée présente dans les Mascaraignes était une bonne espèce, à désigner a priori sous Trithemis haematina.

Niort le 1er octobre 2024 (Cyrille Deliry)

J’ai renforcé fin septembre et début octobre 2024, et j’y travaille depuis quelques jours, mes recherches et réflexions sur la question de Trithemis annulata. Partant des travaux de Ris (1912), je viens confirmer une nette divergence entre annulata et haematina parfaitement en faveur de l’existence de deux espèces distinctes. Or, l’étude de Ris (1912) montre aussi que des taxons viennent s’intercaler dans ce que je rassemble sous le groupe Trithemis annulata. Ainsi Trithemis violacea et Trithemis selika entrent dans la problématique. Toutefois l’examen mené en parallèle des sources et des listes de références (Kirby 1890, Davies & Tobin 1985, Bridges 1994 et Steinmann 1997), de la récupération des informations sur les types initiaux des collections, des descriptions originales et des premières illustrations, ainsi que d’éléments biogéographiques, semblent révéler que malgré lui, par un jeu de combinaison des éléments géographiques publiés et des taxonymies qui ont pu se décaler, Ris (1912) a fondé des connaissances, bien décrites, mais qui n’ont pas été obligatoirement attribués au bon taxonyme.

  • Trithemis annulata sensu Ris correspond plutôt à la rubrinervis du secteur méditerranéen.
  • Trithemis violacea sensu Ris correspond est associée à la véritable annulata du secteur initial ouest-africain, éventuellement à une variante des milieux forestiers plus sombres de l’Afrique centro-occidentale.
  • Trithemis selika sensu Ris correspond à haematina telle qu’elle est citée de Madagascar.
  • Trithemis haematina sensu Ris correspond aux taxons réellement présents aux Mascareignes (île Maurice et La Réunion), qui en fait correspondent à Trithemis erythraea, voire au nom de remplacement Trithemis ramburii (nomen novum).

S’ajoutent aux travaux de Ris (1912) sa propre espèce des Comores, Trithemis maia, qui pourrait correspondre à Trithemis lateralis de Burmeister (1839) qui reste à mon avis un nomen dubium, non attribuable avec certitude. Il convient ici de voir les descriptions faites des deux femelles des collections types faites par Calvert (1898) et d’essayer de faire une attribution correcte (com., 5 février 2025). En effet, la difficulté vient du fait que lateralis, décrite sur une femelle d’Anjouan, est aussi attribué à Trithemis arteriosa, à raison ou à tort par Buccholz (1959). Ainsi Trithemis maia est un nom sans ambiguïté pour les populations comoriennes. Enfin, la scorteciii de Nielsen (1935) semble un taxon, sous-espèce possible de la rubrinervis plutôt nord-saharienne, mais l’examen de la description indiqué qu’il s’agit plus probablement d’une forme naine associée à la rubrinervis. En étant strictement rigoureux, annulata est étendu au reste de l’Afrique de l’Afrique subsaharienne.

Ces réflexions viennent changer quelque peu les choses, bien que Ris (1912) ait lancé les bases de cette perception de la problématique du groupe Trithemis annulata. La Communauté odonatologique, par l’entremise de la World Odonata List a un regard différent (Paulson & al. [2024]). Je note aussi un élément qui pourrait être conséquent qui est que Kirby (1890) traite d’Orthetrum annulatum plutôt que de Trithemis annulata alors qu’il considère régulièrement le genre Trithemis par ailleurs. Donc pourquoi pas dans cet exemple ? Je me suis questionné, jusqu’à ce que je constate que la planche donnée par Palisot de Beauvois n’est guère conforme à ce qu’on attend de Trithemis annulata mais présente un étranglement qu’on connaît chez plusieurs espèces africaines d’Orthetrum (c’est une femelle de plus). La question se pose Trithemis annulata est-elle bien l’espèce qu’on pense être ou s’agit-il plutôt d’un Orthetrum quelconque ? Par ailleurs un jeu de confusion laisse croire qu’il y a plusieurs taxonx sur Madagascar, envisagées tour à tour comme annulata, haematina et selika. Mais je pense qu’il n’est pas exclu qu’il n’y ait qu’un seul taxon qui logiquement serait basé sur la selika. Par ailleurs les populations des Mascaraignes sont-elles du même taxon que celles de Madagascar, auquel cas, il serait recevable que Trithemis haematina soit à la fois à Madagascar et aux Mascareignes, toutefois des éléments de divergence sont soulignés et alors des sous-espèces sont possibles.

Figure de la planche associée à la Libellula annulata décrite par Palisot de Beauvois (1807). On comprend volontiers pourquoi Kirby (1890) a proposé la combinaison Orthetrum annulatum. Le spécimen type original est réputé présent, un mâle, dans les collections du Muséum de Bruxelles et un examen amélioré s’impose.
Cette Libellula rubrinervis issue des planches sur les Odonates d’Algérie parus avec l’ouvrage de Lucas (1849) est plus conforme à « nos attentes ». C’est un secteur où Trithemis annulata est réputé présent. Mes réflexions sont en faveur du placement de rubrinervis comme sous-espèce de Trithemis annulata et de réserver Trithemis annulata annulata pour l’Afrique sub-saharienne (com., 9 février 2025).

De manière provisoire ou transitoire mes réflexions amènent aux premières conclusions suivantes et correspondent à une option à cinq espèces et à l’abandon de Trithemis annulata ou une autre option à trois espèces, avec trois sous-espèces dans l’Océan Indien :

  • Trithemis annulata annulata (Palisot de Beauvois, 1807) concerne les populations subsahariennes. L’espèce générale telle que la présente la WOL sous Trithemis annulata est accompagnée d’une large synonymie (rubrinervis, haematina, obsoleta, erythraea, violacea, scortecciii).
  • Libellula lateralis Burmeister, 1839 (nomen dubium) dont l’attribution est incertaine car la femelle originale, une femelle de l’île d’Anjouan (St. Johanna Island), est tantôt associée à Trithemis selika, à mon avis par effet de ressemblance, tantôt à Trithemis arteriosa. On en a même fait un Orthetrum, ce qui est une erreur ! Taxon non attribué. Il est synonyme de Trithemis arteriosa selon la WOL.
  • Trithemis annulata rubrinervis (de Selys Longchamps, 1841) se trouve centréee sur le Bassin méditerranéen. C’est un synonyme de Trithemis annulata sous Libellula rubrinervis selon la WOL.
  • Trithemis haematina (Rambur, 1842) se trouve dans le secteur de l’Océan Indien. Elle pourrait être déclinée en son type pour les Mascareignes, Trithemis haematina maia pour les Comores et Trithemis haematina selika pour Madagascar. Une option basée sur trois espèces différentes reste envisageable (Trithemis haematina, Trithemis maia et Trithemis selika) Il s’agit d’un synonyme de Trithemis annulata sous Libellula haematina, ou des bonnes espèces selon les cas (Trithemis maia et Trithemis selika) selon la WOL.
  • Libellula obsoleta Rambur, 1842 est un spécimen anecdotique de femelle en collection qui correspond à la rubrinervis. Sa localité d’origine est inconnue (l’Espagne, avec une mention très ancienne est possible : cf. collection Serville). Synonyme de Trithemis annulata selon la WOL.
  • Tramea erythraea Brauer, 1867 se trouve sur les Mascareignes (îles Maurice et de La Réunion). Ce taxon pourrait être regardé comme une sous-espèce de Trithemis haematina mais la sous-espèce haematina convient. Il s’agit d’un synonyme de Trithemis annulata sous Tramea erythraea selon la WOL.
  • Trithemis haematina. selika (de Selys Longchamps in Pollen & van Dam, 1869) est associée aux haematina de Madagascar. Il pourrait s’agir d’une sous-espèce (Trithemis haematina selika) voire d’une espèce voisine possible sur cette grande île. C’est une bonne espèce selon la WOL avec pour protonyme Libellula selika.
  • Trithemis ramburii Kirby, 1890 (nomen novum) est une tentative peu nécessaire, car erythraea convient bien au taxon des Mascareignes tel que signalé ci-dessus, mais de manière recentré, haematina aussi. Il s’agit d’un taxonyme non traité par la WOL.
  • Trithemis violacea Sjöstedt, 1899 pourrait correspondre à certains spécimens du centre-ouest africain, où c’est la véritable Trithemis annulata qui est connue (type). C’est un synonyme de Trithemis annulata selon la WOL.
  • Trithemis haematina maia Ris, 1915 se trouve sur les Comores et pourrait être plutôt Trithemis lateralis dit aussi des Comores (Anjouan), toutefois par un jeu de confusion ce nom est peut-être incertain : Libellula lateralis Burmeister, 1839 (nomen dubium). Ce n’est pas une sous-espèce de Trithemis selika, c’est une association par simple ressemblance. C’est une bonne espèce ou une simple sous-espèce de Trithemis haematina. Trithemis maia est traitée comme une bonne espèce par la WOL.
  • Trithemis annulata f. scorteccii Nielsen, 1935, me semble une bonne option pour ce taxon alors méridional et pour partie oriental du sud du Bassin méditerranéen, toutefois la lecture précise de la description montre qu’il s’agit très probablement de variants très petits de l’annulata et plus particulièrement de la rubrinervis. Il s’agit d’un synonyme de Trithemis annulata, sous Trithemis scorteccii selon la WOL.

En l’état, il apparaît nécessaire de mener plusieurs examens : lire les trois articles parus en 1962 sur ces espèces rédigés par Pinhey pour saisir les arguments de cet auteur, trouver les spécimens types dans les collections européennes, étudier d’autres exemplaires de collection, vérifier la cohérence des descriptions avec les indications géographiques, faire une lecture critique et un examen d’un grand échantillon de photographies valables.

Références
  • Bridges C.A. 1994 – Catalogue of the family-group, genus-group and species-group names of the Odonata of the world. 3e éd. – Urbana, chez l’Auteur. – ONLINE
  • Buchholz K.F. 1959 – Odonaten aus dem Ennedigebirge, nebst Bemerkungen über eignige aethioptiche Arten. – Bonn. Zool. Beitr., 10 : 75-98.
  • Burmeister H. 1839 – Handbuch der Entomologie. – Enslin, Berlin [Libellulina : 805-862]. – ONLINE
  • Calvert P.P. 1898 – Burmeister’s Types of Odonata. – Transactions of the American Entomological Society, 25. – PDF LINK
  • Davies D.A. & Tobin P. 1985 – The dragonflies of the world: a systematic list of extant species of Odonata. Vol. 2. Anisoptera. – Soc. Int. Odonatol. Rapid Comm. (Suppl.) No. 5., Utrecht.
  • Kirby W.F. 1890 – A synonymic catalogue of Neuroptera Odonata or Dragonflies with an appendix of fossil species. – London. – PDF LINK
  • Nielsen C. 1935 – Odonati del Fezzan raccolti dal Prof. G. Scortecci (Missione della R. Società Geografica) e Catalogo delle speciie finora catturate. – Atti della Società Italiana Naturali e del Museo Civico di Storia Naturale in Milano, 74 (4) : 372-382. – ONLINE
  • Paulson D., Schorr M. & Deliry C. (coord.) [2000-2024] – World Odonata List (New). – Slater MNH, Univ. Puget Sound, première mise en ligne en 2000 (Schorr & al. 2000). – WOL – ONLINE
  • Pinhey E.C. 1962 – A descriptive catalogue of the Odonata of Africa continent. – Publçoes cult. Co. Diam. Angola, 59 (1/2) : 1-321.
  • Pinhey E.C. 1962 – A Survey of the Dragonflies (Order Odonata) of Eastern Africa. – The Quaterly Review of Biology, 37 (3).
  • Pinhey E.C. 1962 – Some notes on the dragonflies (Odonata) of Mauritius. – Proc. R. ent. soc. Lond. (B), 31 : 115-121.
  • Ris F. 1911-1912 – Libellulinen II. – Collections Zoologiques du baron Edm. de Selys Longchamps, fasc. XII et XIII (1911), fasc. XIV (1912), Catalogue systématique et descriptif, Hayez, Bruxelles : 837 pp. – ONLINE
  • Steinmann H. 1997 – World Catalogue of Odonata. 2 volumes. – Walter de Gruyter.

Citation – Deliry C. [2025] – Être ou ne pas être Trithemis annulata ? – Odonates du Monde, Communiqué, 1er octobre 2024, révisé le 9 février 2025. – ONLINE