Le Pic à dos blanc en Chartreuse

Oiseaux – Savoie

Pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos) – Femelle, St Pétersbourg, Leningrad, 26 mars 2021
©© bysa – Andrey Gulivanov – Wikimedia commons

Le Pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos) avait à la sortie de la dernière glaciation une répartition nettement plus étendue qu’aujourd’hui, si bien qu’il était présent en Chartreuse à la fin du Würm (tardi-glaciaire) et au début de l’Holocène.

L’espèce a été suspectée présente vers Nice, trouvé dans la Grotte du Lazaret (Mourer-Chauviré 1975) au Pléistocène moyen. Il est en Crête (Weesie 1988), Tchécoslovaquie (Lambrecht 1933), Autriche (Lambrecht 1931) ou en Belgique (Ballman 1973), sans plus de précisions au Pléistocène supérieur. Au plus loin dans les temps géologiques du quaternaire (Pleistocène inférieur), les espèces sous l’effet de l’évolution ne sont pas facilement attribuables. Ainsi une variété proche de la Fauvette grisette est signalée en Roumanie à Betfia 2 (Janossy 1979) et de la même manière un proche parent du Tarin des aulnes est donné au Mas Rambault (Mourer-Chauviré 1975).

Les ossements découverts dans la Grotte de Saint-Thibaud-de-Couz (Savoie) située dans la vallée de l’Hyère en Chartreuse, permettent de renseigne l’évolution d’une période étendue révélés par des fouilles précises (Mourer-Chauviré 1994). Ce sont généralement des proies (probables), soit de Hibou Grand-Duc, soit de Chouette Harfang, qui sont considérées et rapportées dans la Grotte.

20000 BP

La vallée glaciaire de l’Hyère est déjà en place depuis plus de 20000 ans.

15000 BP

Vers 15000 BP un éboulement local met en place un lac de barrage, le « Lac des Terreaux ». À cette époque le milieu est forestier dans un climat plutôt tempéré humide. Le Dryas I suit et c’est une période très froide et sèche. Le « Lac » se trouve dans une steppe, la forêt ayant quasiment disparu. Les steppes froides sont occupées par les Lagopèdes arctiques et des Lagopèdes alpins, le Tetras lyre paraissant aussi assez fréquent. Le Hibou moyen-duc révèle l’existence de forêts relictuelles. Un petit campagnol, aujourd’hui inféodé aux toundras est fréquent. Il s’agit du Campagnol des toundras (Microtus oeconomus).

13000 BP

Peu avant 13000 BP, le climat est contrasté et le « Lac » subit un affaissement. Le Bölling présente un climat très humide. L’avifaune aquatique est diversifiée (Canard colvert, Canard chipeau, Sarcelle d’hiver, Bécassine double, Barge à queue noire, Pluvier doré). Les milieux ouverts présentent toujours des Lagopèdes arctiques et alpins, mais aussi sont fréquentés par le Faucon crécerelle, de la Perdrix grise et le Chocard à bec jaune. Le Hibou des marais assez fréquent fait vraisemblablement la liaison entre les deux milieux principaux. La présence de forêt a dû augmenter. Ainsi on signale le Tétras lyre, la Bécasse des bois, le Hibou moyen duc, la Chouette hulotte, le Geai des chênes et le Pinson des arbres. Les Campagnols des toundras (Microtus oeconomus) sont très nombreux (139 exemplaires découverts) et de grands mammifères témoignent d’espèce aujourd’hui franchement nordiques : l’Elan et le Renne.

12000 BP

Peu avant 12000 BP, le Dryas II annonce le retour d’un froid plus intense. Une forêt clairsemée se trouve dans le secteur. On retrouve une avifaune aquatique originale (Canard colvert, Canard chipeau, Sarcelle d’hiver, Fuligules morillon et milouinan, Râle d’eau, Bécassine double, Bécasseau sanderling et avec étonnement la présence de Mouette tridactyle). Les milieux ouverts restent fréquentés sans problèmes par les deux Lagopèdes qui semblent abondants. La Perdrix grise et le Hibou des marais sont de nouveau notés. Le Râle des genets fait son apparition dans les listes. Au milieu forestier clairsemé il faut associé le Tétras lyre, la Bécasse des bois, la Chouette hulotte, le Hibou moyen duc, la Grive draine, le Pinson des arbres, le Grosbec cassenoyau, ainsi que des espèces de forêts plus importantes comme le Pic noir. Des milieux assez ouverts sont fréquentés par le Bruant jaune ou la Pie bavarde. Aux rochers des massifs voisins, il faut de toute évidence attribuer la présence du Choucas des tours et du Chocard à bec jaune. Les Campagnols des toundras (44 exemplaires) semblent toujours très fréquents.

Après 12000 BP, une steppe s’installe. Le climat est encore humide toutefois. On retrouve les habitués des milieux aquatiques : Canards colvert et chipeau, Sarcelle d’hiver dont la présence intéressante du Pluvier doré. Le Faucon hobereau repéré de nouveau sillonne les environs en présence du Crécerelle. Aux milieux ouverts on retrouve les Lagopèdes arctique et alpin, le Râle des genets. Enfin il s’agit d’ajouter certaines espèces déjà mentionnées comme le Tétras lyre, le Hibou moyen duc, le Bruant jaune, le Chocard à bec jaune ou nouvellement repérées dans les ossements : Grive mauvis, Grive musicienne. Il y a toujours de nombreux Campagnols des toundras (63 exemplaires). Il y a assez peu d’informations sur les périodes suivantes, sinon que les Campagnols des toundras sont toujours présents. Le climat semble se réchauffer pour revenir à des périodes plus froides.

11000 BP

Avec l’Alleröd (peu avant 11000 BP) dans un contexte de climat montrant des alternances de périodes plus ou moins chaudes, vers la fin du Würm, une forêt clairsemée s’installe en Chartreuse, avec présente de bois à grands arbres sont révélés par la présence du Pic à dos blanc et de la Chouette de Tengmalm (Grotte de Saint-Thibaud-de-Couz). Dans le secteur se trouve le « Lac des Terreaux », aujourd’hui disparu, qui attire une avifaune aquatique (Canard colvert, Sarcelle d’hiver, Râle d’eau, Bécassine sourde). Le Hibou des marais fréquente les environs. J’ai déjà évoqué le milieu forestier auquel s’ajoute une avifaune spécifique (Bécasse des bois, Chouette hulotte, Merle noir, Grive musicienne, Fauvette à tête noire, Pinson des arbres). Entre lisières et milieux ouverts on découvre le Tétras lyre, la Grive litorne, la Grive draine, la Mésange bleue, la Grive mauvis et le Bruant jaune, ces deux derniers semblant plutôt fréquents. Viennent alors les éléments de la faune alpine qui semble s’installer : Mésange boréale, Tarin des aulnes, Merle à plastron, Bouvreuil pivoine et Niverolle des Alpes. Aux landes attribuerons-nous la Fauvette grisette. Mais alors quel savant mélange que cette présence d’Hirondelle rousseline et de Bruant des neiges. Les Lagopèdes (bien qu’indéterminés) sont toujours là et vraisemblablement moins nombreux. On signale encore pour les milieux ouverts survolés par le Martinet noir, la Caille des blés, le Râle des genets et l’Alouette des champs. Nous sommes à cette époque de climats changeants en présence d’un savant mélange d’une avifaune qui nous est familière et de diverses originalités, mais il n’est pas certains que tous furent présents simultanément et que tous se reproduisaient. Le Campagnol des toundras est toujours présent !

Après 11000 BP le climat devient froid, voire très froid et sec. La steppe domine. Au Dryas III (11000-10000 BP) le climat est froid, mais plus humide. On retrouve au niveau des milieux aquatiques le Canard colvert mais aucune autre espèce inféodée sinon le Hibou des marais n’est signalé. La forêt a repris le dessus ainsi que le confirment les présences de la Chouette de Tengmalm et du Pic à dos blanc. Au milieu forestier s’ajoutent diverses espèces comme le Coucou gris, le Merle noir, le Merle à plastron, la Grive musicienne, la Grive draine, la Grive litorne, la Grive mauvis, la Fauvette à tête noire, la Mésange boréale, le Grosbec cassenoyaux, le Pinson des arbres, le Bouvreuil pivoine, l’Épervier d’Europe, la Chouette hulotte et le Cassenoix moucheté. Aux lisières le Bruant jaune côtoie le Tétras lyre, le Râle des genets, le Lagopède arctique, la Caille des blés, l’Alouette des champs et non loin le Merle de roche et la Niverolle alpine, ainsi que surprise toujours l’Hirondelle rousseline. Sur les torrents doivent se trouver le Cincle plongeur et le Chevalier guignette qui sont cités sur les listes d’ossements étudiés.

10000 BP

Après 10000 BP le réchauffement est significatif et le climat devient tempéré et humide. On retrouve diverses espèces qui nous sont d’après les listes précédentes familières, dont certaines semblent revenues. Pour les milieux aquatiques ce sont la Sarcelle d’hiver, le Râle d’eau, le Hibou des marais. Les milieux ouverts sont fréquentés par des Lagopèdes (non déterminés), le Tétras lyre, le Merle de roche, le Bruant jaune, la Grive mauvis. On trouve pour les milieux forestiers le Pic noir, le Pic épeiche, le Merle à plastron, le Merle noir, la Grive musicienne, la Grive draine, le Bouvreuil pivoine et le Geai des chênes. Que des espèces à peu près familières pour un climat qui nous est mieux connu. Il faut souligner une originalité chez les mammifères avec la citation du Grand Hamster et on ne parle plus de Campagnol des toundras.

9000 BP

Avant 9000 BP nous sommes au début du Préboréal. Le climat est tempéré et humide, relativement frais. Le lac des Terreaux est toujours présent. Nous avons sur le secteur des forêts et des prairies (dont les éléments seraient assez secs, ce qui est en contradiction avec le climat annoncé). L’avifaune nous est désormais familière (Lagopède alpin, Tétras lyre, Caille des blés, Râle d’eau, Chouette hulotte, Pic épeiche, Merle noir, Grive musicienne, Grive draine, Grive litorne, Fauvette grisette, Fauvette à tête noire, Mésange bleue, Cassenoix moucheté, Beccroisé des sapins, Bouvreuil pivoine, Niverolle alpine, Bruant jaune). Des originalités sont à noter : le Râle des genets, le Hibou des marais, la Grive mauvis et le Bruant des neiges qui ont déjà été signalés antérieurement. Enfin la présence de la Fauvette orphée et du Crave à bec rouge sont des nouveautés. Pour les mammifères l’Élan et le Grand Hamster sont trouvés dans les ossements fossiles. Des informations prises ailleurs en Europe révèle des signalements intéressants tels que la Bécassine sourde dans le sud de la France (Villette 1983) et en Belgique (Balman 1978). Le Pic à dos blanc est signalé à la grotte de Gonvillars en Haute-Saône (Mourer-Chauviré 1975), en Hongrie (Janossy 1979) et en Pologne (Bochenski Jr. 1990). Le Merle de roche est signalé dans le Var et dans l’Aude ainsi qu’en Espagne à la Cova Fosca (Villette 1983). Enfin la Fauvette orphée est indiquée dans le Gers (Cantet & al., 1978), le Var (Villette 1983) ainsi qu’en Grèce à la grotte de Kitsos (Mourer-Chauviré 1981).

2500 BP

Pour les ossements trouvés à Saint-Thibaud-de-Couz, il y a peu d’informations disponibles avec pour seul signalement le Tétras lyre. On s’approche alors du Boréal. Le climat d’abord tempéré et sec devient plus chaud et tend à devenir très humide. Une forêt dense vient fermer pour longtemps le milieu. C’est à cette époque que des ossements de Grue cendrée sont signalés ponctuellement. Peu avant 2500 BP, soit à l’époque dite Atlantique qui nous « concerne » encore, le lac des Terreaux n’est plus que résiduel et se transforme en marais. La trace de l’Homme sur l’environnement se fait sentir avec des défrichements de la forêt. Après 2200 BP, la plaine alluviale alors très similaires à la situation actuelle : l’Hyère s’enfonce dans son lit par érosion régressive.

Première version rédigée à Aoste le 25 mai 1997, mise en ligne dès février 1999, remise en forme en 2001 et révisée les 14 et 15 septembre 2025. – CD


  • Ballman P. 1973 – Die fossilen Vögel aus dem Jungpleistozän der Höhle Marie-Jeanne bei Hastière (Belgien). – Le Gerfaut, 63 : 3-16.
  • Bintz P. 1994 – Analyses sédimentologiques et interprétations dynamique et climato-sédimentaire. – In : Bintz (1994 ) : Gallia préhistoire, 36 : 177-182.
  • Bintz P. (dir.) 1994 – Les grottes Jean-Pierre 1 et 2 à Saint-Thibaud-de-Couz (Savoie). I. Paléoenvironnement et cultures du Tardiglaciaire à l’Holocène dans les Alpes du Nord. – Gallia préhistoire, 36 : 266 pp.
  • Bochenski Z. Jr. 1990 – Fossil remains of birds from Dziadowa Skala Cave, Central Poland. – Acta Zoologica Cracoviensia, 33 (8) : 133-147.
  • Cantet M. & al. 1978 – Le gisement du Paléolithique supérieur de la Brette 2, à Condom (Gers). – Bulletin de la Société d’Histoire Naturelle de Toulouse, 114 (3-4) : 332-359.
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